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Simon Eine, un dynamisme inaltérable

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Elégant et leste, Simon Eine est de ceux, quand ils parviennent à un âge qui commence par huit, dont on dit plutôt qu’ils ont quatre fois vingt ans. Interprétant Colin et le Chef de troupe dans George Dandin et La jalousie du barbouillé, il vient une fois de plus d’exceller au Vieux-Colombier.

Simon Eine entre à la Comédie-Française en 1960, cueilli immédiatement à sa sortie du Conservatoire National avec trois Prix en poche. A l’époque, quand on est ainsi repéré et placé dans la troupe la plus brillante, il n’est pas question de refuser. Pour Simon Eine qui a alors 24 ans, c’est un parcours superbe qui commence et des décennies plus tard, sa reconnaissance envers cette prestigieuse maison est immense.

Il y enchaine les rôles phares du répertoire, Alceste du Misanthrope, Albin dans Polyeucte, Antiochus dans Bérénice, travaille les plus illustres auteurs, Molière, Shakespeare, Corneille, Hugo, est dirigé par Roussillon, Dux, Boutté, Françon, et la liste serait si longue qu’il n’est pas question de la dresser, d’autant plus qu’elle se diversifie richement du côté des contemporains et se poursuit encore.

On le retrouve chez Copi, Duras, Grumberg, Jon Fosse, et des metteurs en scène tels que Ribes, Mesguich, Lavelli, David Géry font appel à lui. C’est dire que ce comédien, sociétaire honoraire au Français depuis 2004 et qui a également considérablement travaillé à l’extérieur de la célèbre troupe, a une palette haute en couleurs. Venant de terminer les représentations au Vieux Colombier sous la direction d’Hervé Pierre, il s’apprête à rejoindre Nice où il réside désormais.

Entre le Sud et Paris, de nouvelles aventures se dessinent et outre le théâtre, c’est la littérature qui fait son actualité avec la sortie le 7 juillet d’un recueil de Nouvelles intitulé Humeurs variables aux Editions Riveneuve. Depuis toujours, l’écriture et le goût de la littérature accompagnent Simon Eine, son premier livre de souvenirs Des étoiles plein les poches étant sorti en 2012.

C’est que parallèlement au parcours modèle, il y a chez Simon Eine une étincelle hors normes, constante et juvénile, une vivacité et un entrain toujours sur le qui-vive, une force et une fragilité mêlées qui en font un comédien à part, dont la personnalité est plus libre et plus marquée que celle d’une certaine nouvelle génération au parcours tout tracé d’enfant souvent gâté.

Simon Eine c Cosimo Mirco Magliocca coll. CF

Simon Eine © Cosimo Mirco Magliocca

Né en 1936 dans un milieu modeste d’immigrés polonais, Simon Eine a connu une enfance dominée par l’exode et l’obligation de se cacher. Durant ces années de guerre qui l’éloignent de ses parents, -tragiquement et définitivement de sa mère-, la lecture le sauve. Autodidacte, il ne cesse ensuite de découvrir fébrilement des textes, chapardant Le Cid sur un marché de Nice et recevant un véritable choc quand il se jette dans Cyrano de Bergerac après en avoir vu l’adaptation cinématographique avec José Ferrer. « Ensuite, je ne pouvais plus m’arrêter… », lance-t-il aujourd’hui avec un enthousiasme intact. Et effectivement, il n’a jamais arrêté.

Adolescent, quand il donne la réplique à un copain, c’est lui qu’on vient chercher ; d’élève comédien au TNP il passe à l’école de la Rue Blanche et l’ascension commence. Il rêve alors de rejoindre Vilar, ses convictions politiques l’entrainent vers les expériences théâtrales audacieuses. C’est une forte et noble tête, il n’est pas du genre à plier sous les coups du destin, au contraire, il en sort avec une vaillance dont il habille délicatement son indélébile fêlure.

Il vend l’Huma, il se passionne pour les utopies populaires, où l’art et l’engagement se marient. Son père étant tailleur, Simon Eine se souvient d’une période acharnée durant laquelle il travaille le matin sur la machine Singer familiale et l’après-midi il se laisse éblouir par Charles Dullin qui le forme à son « métier d’artisan du spectacle », comme il aime à le dire. « Cette machine à coudre a maintenant rejoint le 6e étage de la Comédie- Française, offerte par mes soins aux Ateliers de la maison après la mort de mon père en 81». A travers ce geste symbolique, s’expriment toute la générosité de Simon Eine, la volonté, la fidélité et conjointement le désir d’aller de l’avant.

La profondeur de jeu de ce comédien s’appuie à n’en point douter sur de vraies connaissances des facéties et des folies humaines, autant que des authentiques tragédies. Il y a toujours en Simon Eine un charme romantique qui se pare de prestance : cette combinaison subtile d’émotions autant que de caractère, a fait de lui un magnifique, touchant et imposant comédien dont peut s’enorgueillir la Comédie-Française et que l’on souhaite retrouver ici ou ailleurs.

Emilie Darlier-Bournat

[ Crédit photo : © Cosimo Mirco Magliocca]

Simon Eine est décédé le 30 septembre à l’âge de 84 ans.

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